Réaliser pour vous une communication en dentelle suppose de très longues heures immobiles devant l’écran. C’est pourquoi j’ai hâte, tous les matins, d’aller marcher : tôt en fendant l’air de la nuit pour inaugurer la journée.

Commencer une journée par une déambulation lente ou rapide sur les mêmes chemins qui dispensent agréablement lumière et ombre, sur ce grand plateau bordé d’une forêt, est un cadeau fait aussi bien à la créativité qu’à la méthode, et un cadeau fait au corps qui s’immobilise ensuite et se bloque, concentré.

Dans cet ébat, tout est inspiration : la lumière même grise, même mince, dans les balbutiements de l’aube, les talus et les haies qu’elle fait saillir ou laisse assoupis, les champs noirs de nuit d’où sourdent progressivement les couleurs, les arbres, les feuilles, les fleurs, d’abord fantomatiques puis affirmés. Dans cette contemplation que rythme le pas, un séquençage du travail de la journée se met en place, plus efficace qu’une « to-do-list », plus efficient qu’un organigramme, plus net qu’un dessin.

Des idées poussent avec les parfums du matin neuf et je ressens comme un privilège cette dégustation odorante toujours renouvelée : foin coupé, terre humide, menthe poivrée, humus. Et de temps en temps : échappement d’une voiture ou d’un tracteur qui vient brouiller les parfums verts et bruns.

La marche plie et déplie la pensée, la convoque et l’aiguise. Elle la canalise et l’épanouit simultanément. Marcher avec quelqu’un permet d’élaborer et je me prends à rêver parfois que les réunions statiques des salles anonymes se fassent marches de travail au grand cadre.

En rentrant, tandis que le corps parcouru d’endorphines palpite de s’être déplié, tout est prêt et s’enclenche logiquement avec fluidité.

Il y a un vrai paradoxe à planter une agence de communication en rase campagne, à distance de la ville et des clients. Mais c’est cette distance et la beauté de la campagne environnante qui nourrissent précisément le travail réalisé et le différencie. Parfois, le ratio entre ciel et terre, la silhouette d’une ombelle, l’inflorescence d’une ortie, les ombres des arbres sur la route, l’émeraude ciselée d’une mousse renvoie à des balbutiements les concepts graphiques les plus réussis.

Chaque jour, je mesure la grâce donnée aux vases communicants d’être enchâssés dans cet univers végétal au premier coup d’œil immuable, mais chaque jour différent parce que la pluie nocturne, la canicule de la veille, le vent en a remué le tableau.

Réduire la communication à une communication humaine, à une communication de marque ou à une communication totalement numérisée est un amenuisement de son sens.  Le verbe latin communicare prévoit de mettre en commun, de partager, de se concerter, de prendre sa part de…

C’est ce que me rappelle quotidiennement ces déambulations. Alors voici ce que je mets en commun : la marche, racine du travail du jour, cet acte gratuit profondément personnel qui aiguise les sens et nourrit la pensée.

Communiquer avec le couchant
Communiquer avec le couchant
Communiquer avec le couchant

« Il faut garder la forme. Ma grand-mère a commencé à marcher sept kilomètres par jour à soixante ans. Elle en a aujourd’hui quatre-vingt-dix-sept, et on ne sait absolument pas où elle est. »

Ellen DeGeneres